03 mars 2014

Des ombres sur Innsmouth, de Howard Phillips Lovecraft (version pièce radiophonique)


Il y a un an, je vous parlais d'une pièce radiophonique basée sur une nouvelle de Lovecraft que j'avais écoutée et beaucoup appréciée : La couleur tombée du ciel. J'ai depuis remis le couvert avec une nouvelle pièce, "Des ombres sur Innsmouth", et je voulais à nouveau vous parler de l'auteur, de la nouvelle mais également de ce type un peu particulier d'expérience littéraire.


Résumé : 

Le narrateur, un étudiant en voyage touristique, est obligé de faire une escale de quelques heures dans la petite ville portuaire d'Innsmouth. On l'a pourtant prévenu que la ville est quasiment en ruines et que ses habitants ont un physique répugnant et une tendance à la folie. Mais une fois sur place, la curiosité le pousse à découvrir les raisons de l'atmosphère oppressante d'Innsmouth...


Mon avis :

Tout d'abord, il faut que je précise une chose importante : ceci n'est pas le texte original, c'est une traduction et une adaptation. Le texte est présenté sous la forme d'une pièce radiophonique mise en ligne par France Culture : des acteurs "jouent" le texte, avec des bruitages et sans narration externe (le personnage principal joue un peu le rôle du narrateur). Je me rends compte qu'il y a quelques différences par rapport à la nouvelle originale, principalement (il me semble) pour transformer certaines parties "narratives" en conversations qui permettent un aspect plus théatral. Ceci dit, l'adaptation semble fidèle, tous les éléments essentiels y sont, y-compris l'atmosphère. Les acteurs sont excellents, le bruitage aussi, et l'ensemble donne un relief à l'histoire sans, il me semble, la dénaturer.

En ce qui concerne le texte en lui-même, j'ai bien l'impression qu'à force de "fréquenter" Lovecraft, je l'apprécie de mieux en mieux. Pour "La couleur tombée du ciel", dont je vous ai parlé il y a déjà un an, je m'étais sentie un peu frustrée par l'absence d'explication : on vit le déclin d'une famille à cause d'un météorite sans avoir aucune idée de ce qui a bien pu se passer exactement. Je n'ai pas du tout eu ce sentiment cette fois-ci. Bien sûr, il y a une bonne dose de surnaturel, mais en quelque sorte tout s'explique logiquement. La ville d'Innsmouth, si mystérieuse et si décadente, subit en réalité les effets d'un certain événement lointain et ça me suffit comme interprétation.

La chose qui m'a un peu plus dérangée ici, c'est le côté "racisme" de l'affaire. On apprend dès le début que les habitants d'Innsmouth sont détestés par les gens des villes alentours, principalement en raison de leur apparence physique particulière. Ce jugement s'avère en réalité fondé, mais j'ai quand même été interpellée par le fait que la narrateur, avant de rien savoir, se laisse à ce point influencer par ce préjugé. Il lui semble tout naturel, à lui et à celui qui lui parle d'Innsmouth avant qu'il n'y aille (et donc probablement à l'auteur aussi) de traiter Innsmouth comme un ville de pestiférés parce qu'une partie de ses habitants ont certaines caractéristiques physiques. Cette nouvelle a été publiée en 1936, et je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'elle illustre un peu les idées qui aboutiront, en Allemagne, sur les programmes d'euthanasie et les camps de concentration.

Ceci dit, je me laisse peut-être influencer par l'ambiance particulièrement glauque créée par Lovecraft. Le vocabulaire utilisé (en tous cas dans la traduction) et très particulier : on parle d'oppression, d'horreur, de dégoût et de tous leurs synonymes à tout bout de champ. Et quand on y regarde bien, c'est vraiment ce vocabulaire qui tient toute l'histoire ; si on retire les impressions exprimées par le narrateur et qu'on ne garde que les faits, il ne reste pas grand-chose et on a surtout l'impression que le narrateur est paranoïaque. C'est cet aspect, cette espèce de flou laissant un peu de place pour une interprétation toute différente, qui rend cette nouvelle intéressante, je trouve.

Je pense qu'au final, si l'adaptation en pièce radiophonique a modifié ma perception du texte, c'est probablement dans le sens positif. Car j'ai beaucoup apprécié cette pièce, à tous les niveaux : intrigue, vocabulaire, narration. J'ai enfin l'impression d'entrer dans l'univers de Lovecraft, youpeee ! 

...et je pense que cette nouvelle compte pour le Challenge Fant'Classique d'Iluze, que je continue petit à petit !


Pour en savoir plus :
- la page web de France Culture où cette pièce peut être écoutée
- la fiche Bibliomania du livre correspondant, "Le cauchemar d'Innsmouth"

3 commentaires:

  1. Salut !
    Merci pour cette petite info sur cette version jouée du Cauchemar d'Innsmouth. C'est bien que des gens rejouent et ré-adapte encore les récits de Lovecraft !
    Attention cependant à deux-trois petites choses sur Lovecraft.

    - Tout d'abord le fait qu'il n'y ait pas ou peu d'explications est normal au genre et au style de Lovecraft, tout comme les descriptions qui au final ne décrivent pas les choses en elle-mêmes mais comment elles sont perçues. Ces deux caractéristiques vont donc se retrouver dans la majeure partie des œuvres de Lovecraft.
    - Ensuite pour ce qui est du côté raciste c'est un peu la même chose et il faut prendre garde à ne pas faire l'amalgame avec l'Allemagne Nazi justement. Lovecraft était clairement antisémite et raciste envers les gens de couleurs car il en avait une peur bleue (suite à un cambriolage qu'il a subit à NewYork dans un quartier pauvre). Tu retrouveras donc les thèmes d'ethnies, de races et de religion là encore dans bien des récits. Néanmoins Lovecraft était plus un sociopathe qu'un réel danger pour les droits de l'homme. Il n'appréciait et n'était apprécié que par une poignet de fidèles écrivains qui partageaient sa vision. Ses thèmes même si aujourd'hui semble connotés ne reflète que sa propre façon de voir les choses et n'incite pas à la haine. Il n'a jamais eu aucun lien avec les idéaux nazis ni ne les approuvaient. Du reste il ne put jamais donner son avis sur le sujet étant décédé en mars37. Enfin il est mort reclus et connu de personne. Compte tenu de la politique des Nazi sur les livres et de sa traduction européenne dans les années 60-70 il est probablement impossible qu'aucun nazi ait pu le lire avant ou durant la seconde guerre mondiale.

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  2. Bonjour Maedhros, et merci pour ce commentaire pertinent et intéressant ! Il me permet de mettre au point quelques petites choses que j'ai peut-être mal exprimées...

    D'abord, je sais bien que le style de Lovecraft est de ne pas donner d'explications, mais comme ceci est une chronique de mes impressions personnelles, je me permets de dire quand ça me dérange et quand ce n'est pas le cas. Dans cette nouvelle-ci, il y a une sorte d'explication, basée sur des dieux fantastiques, mais pas plus illogiques que chez d'autres auteurs du même genre... Tandis que dans "La couleur tombée du ciel", il n'y avait aucune explication pour les phénomènes observés ni concernant leur relation avec la sorte de météorite qui était à l'origine de tout. Et ça, personnellement, ça me "démange" dans ma lecture. Chaque fois que je lis Lovecraft je prends le risque que ce soit le cas, je le sais bien :)

    Et concernant le racisme, je n'ai pas dit et encore moins voulu dire que Lovecraft avait influencé les nazis, d'ailleurs Hitler et les siens étaient racistes bien avant 1936 ! Ce que je voulais dire c'est que la nouvelle reflète un état d'esprit raciste comme si c'était tout naturel, et ça m'interpelle, parce que depuis l'époque où nous sommes j'ai du mal à comprendre comment quelques années plus tard une société entière, l'Allemagne, a pu élire des gens qui avaient l'intention de supprimer leurs semblables à cause de leur race et de leur apparence physique. Voir dans une histoire de Lovecraft qui n'a rien à voir avec de la propagande, un héros qui considère tout à fait normal qu'une ville soit "mauvaise" parce que ses habitants sont laids, ça m'ouvre un peu les yeux sur l'état d'esprit qui devait avoir cours dans plusieurs parties du monde à l'époque et qui, dans un pays en particulier, aboutirait à un génocide atroce. Du reste je ne me permets pas de critiquer ; c'est facile de savoir ce qui est "bien" ou "mal" quand on a cinquante ans de recul et qu'on sait à quoi certaines idées ont abouti. Lovecraft ne faisait que refléter le point de vue d'une époque, tout comme certains autres auteurs d'il y a quelques décennies me choquent par leurs propos affreusement sexistes. Mais il m'a permis de me mettre un peu dans la tête d'une personne raciste et sans complexes.

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  3. J'ai un peu du mal à imaginer ce que ça peut donner comme effet une pièce radiophonique, j'avoue ... mais je découvrirai peut-être un jour puisque je compte bien découvrir cet auteur.

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