23 avril 2015

Les enchanteurs, de Romain Gary


Ce roman, c'est le Book Club de Livraddict qui m'a permis de le découvrir. Il a été choisi parce qu'il n'avait que peu de chroniques sur Bibliomania et qu'il méritait probablement d'être plus connu... Alors là, je dis oui !  Quelle surprise !


Résumé : 

"Le narrateur, Fosco Zaga, est un vieillard. Hors d'âge. Deux cents ans peut-être. Chargé d'amour, il ne peut pas mourir avant qu'un autre homme aime comme il a aimé, et prenne la relève. Tout a commencé en Russie, sous le règne de la Grande Catherine, où Giuseppe Zaga, le père, exerçait ses talents de magnétiseur, alchimiste, astrologue, et surtout guérisseur de la Grande Catherine. Sa jeune femme Teresina, moqueuse, espiègle, dont le naturel tranche dans cette tribu d'enchanteurs, est à peine plus âgée que Fosco. Et Fosco l'aime d'un amour infini qui l'oblige, deux siècles plus tard, à ressasser ses souvenirs, encore et toujours, pour empêcher Teresina de mourir réellement. Et elle ne meurt pas, comme si la plume de Fosco l'écrivain était parée de tout l'attirail d'illusionniste qu'il avait découvert, avec Teresina, dans un grenier magique de l'ancienne Russie."
(résumé de l'éditeur)


Mon avis :

Je crois que je suis en train de succomber pour la plume inimitable de Romain Gary.  "La vie devant soi" reste une de mes expériences de lecture les plus marquantes, un récit qui me fait battre le coeur rien que d'y penser, et c'est en grande partie grâce à la plume qui le porte, pourtant déguisée sous les traits d'un petit garçon peu éduqué.  J'imaginais que ce plaisir resterait unique, un petit moment de bonheur où l'auteur a touché juste, mais je me suis trompée : dans "Les enchanteurs", si l'intrigue m'a peu marquée, la plume m'a à nouveau chamboulée comme jamais.

Les enchanteurs, c'est l'histoire d'une famille qui vit pour une ambition très particulière : enchanter, c'est à dire amuser, impressionner, forcer l'évasion d'un public toujours changeant. Tous les talents sont permis : du jongleur au diseur d'avenir, du médecin-magicien à l'acteur comique, les Zaga ne vivent que pour leurs arts et pour leur public. L'ancêtre a fui Venise et a lancé sa carrière dans le froid de la Russie impériale, un endroit un peu inattendu pour répandre le rire et l'admiration. Les Zaga sont des passionnés autant que des troubadours et lorsque le père ramène une nouvelle épouse, il entraîne sa tribu dans les affres du bonheur et de la souffrance, en même temps que s'éveille le talent de son fils à l'amour et à la plume. Mais qu'importe : il faut toujours, sans relâche, continuer à enchanter...

Le récit est un peu long et les aventures nombreuses, mais il est aussi un peu décousu, fort étrange. Il y a un aspect fantastique dans cette histoire qui est très peu expliqué. Le narrateur raconte des évènements qui lui sont arrivés personnellement deux cents ans plus tôt et je m'attendais à ce qu'il poursuive l'histoire de sa vie, mais il n'ira pas plus loin que ce qu'il a vécu auprès de son père et de Teresina, comme si la suite n'avait plus d'importance. Pourquoi alors forcer l'anachronisme ?  Si j'ai beaucoup aimé la philosophie très originale de "l'enchanteur", je ne garde finalement pas beaucoup de souvenirs de l'intrigue en tant que telle.

Par contre, la plume, ah mon dieu... Romain Gary est un magicien des mots. Je n'ai jamais eu aussi souvent l'envie de noter quasiment un passage sur deux rien que pour me souvenir de ces phrases si belles, si bien tournées, qui résonnent si bien avec mes propres sentiments ou ma propre expérience. Rien n'est affecté, tout est juste, et tout est si joliment dit.  J'imagine que c'est un sentiment très subjectif, mais en ce qui me concerne, je ne connais pas d'autre auteur dont les mots me font tant briller les yeux. Comme c'est toujours difficile à expliquer, le mieux est de vous soumettre quelques exemples : 
Plaire, séduire, donner à croire, à espérer, émouvoir sans troubler, élever les âmes et les esprits, en un mot, enchanter, telle est la vocation de notre vieille tribu, mon petit... C'est pourquoi tant d'esprits chagrins qui ne discernent nulle part le moindre sens caché ni la moindre étincelle d'espoir, nous traitent de charlatans...
Les larmes, c'est encore plus difficile à fabriquer que la pierre philosophale. Ça vient et puis un jour, ça ne vient plus. Un jour, les larmes vous quittent. Elles ne se sentent pas bien chez vous, il n'y a plus la chaleur, le climat qu'il faut... Il se mit à rire. – Les larmes, c'est comme les oranges.
Je reçus un baiser sur la joue, je sentis un parfum qui fut ma première ivresse et le premier pressentiment de ce que j'allais demander à la vie.
Depuis, j'ai lu beaucoup d'histoires d'amour, car, bien qu'ayant quitté la Russie depuis fort longtemps, j'ai toujours autant horreur du froid et ne cesse jamais de chercher des sources de chaleur vers lesquelles je pourrais tendre les mains.
L'amour, tu sais, ce dont il a le plus besoin, c'est l'imagination. Il faut que chacun invente l'autre avec toute son imagination, avec toutes ses forces et qu'il ne cède pas un pouce du terrain à la réalité ; alors là, lorsque deux imaginations se rencontrent... Il n'y a rien de plus beau.
Tu t'arrangeras avec les souvenirs. Ils sont faits pour ça. Les souvenirs, c'est une chanson que l'on se chante quand on n'a plus de voix...

Même quand il parle de sexe (et il peut être assez cru), il arrive à le rendre poétique :
Or, il se trouvait que, pour mon bonheur, Annotchka était follement éprise de son lointain mari. Elle ne pensait qu'à lui, ne parlait que de lui et atteignait même en l'évoquant à un degré d'intensité et de chaleur qui prêtait à son visage un peu de cette douceur intérieure sur le point de s'accomplir et qui laisse deviner la montée profuse et intime de gouttes de rosée.

Voilà, vous l'aurez compris : je n'ai pas été séduite par le contenu mais j'ai été totalement conquise par le contenant. Je pense que Romain Gary est en passe de devenir mon auteur préféré et je suis tellement, tellement heureuse de n'avoir encore quasiment rien lu de lui !  Beaucoup de bonheur à venir...


Pour en savoir plus :

2 commentaires:

  1. Tu donnes envie de le découvrir cet auteur :)
    Déjà le fait de vouloir faire rêver, enchanter l'univers des autres est déjà très beau en soi.

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  2. Oui tu as tout à fait raison, c'est la partie la plus intéressante de l'intrigue, cette idée d'un clan passionné par le boulot d'"enchanter" les autres. Mais si tu veux découvrir cet auteur, moi j'ai quand même préféré "La vie devant soi". C'est beau, touchant et plus court (au cas où) :D

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